Une énergie renouvelable, oui mais...

L'énergie hydroélectrique ou hydroélectricité se définit comme l’électricité produite à partir de l'énergie de l'eau. Plus concrètement, l’énergie cinétique de l’eau (barrage, chute d’eau, courant…) est convertie en électricité par l’action d’une ou plusieurs turbines hydroélectriques.

Il existe différents types de centrales hydroélectriques avec des tailles diverses, à vocation privée ou publique. En Wallonie, on parle d’avantage de « petite hydroélectricité » qui se caractérise par des installations de production capables de développer une puissance électrique de quelques kilowatts à plusieurs mégawatts (10 MW au maximum), à partir de chutes d’eau de quelques mètres de haut.

L’installation d’une centrale hydroélectrique sur un cours d’eau cause des problèmes d’obstacles aux mouvements des poissons et des perturbations hydro-écologiques des milieux, mais de surcroît, elle est directement responsable de mortalité de poissons par le passage dans les turbines.

Obstacles à la libre circulation des poissons

Tout barrage constitue une entrave En l’absence d’échelle à poissons fonctionnelle, le barrage constitue une entrave à la remontée des géniteurs et, de manière générale, aux mouvements des poissons adultes et des juvéniles au sein du cours d’eau. Pour permettre la libre circulation des poissons dans le bassin versant, chaque barrage constituant un obstacle devra être aménagé pour permettre la dévalaison et la montaison des poissons.
D’un point de vue écologique, l’implantation d’un barrage va générer, en amont de celui-ci, une zone de calme et de sédimentation. Ce dépôt de sédiments a pour conséquence de recouvrir la végétation aquatique et d’en priver le poisson (alimentation, substrat de ponte…). De plus, le barrage aura pour effet de modifier complètement le milieu et de changer la zonation piscicole du cours d’eau. Cela signifie que, par la diminution de la vitesse du courant, on passe d’une eau vive à une eau calme et les populations piscicoles initialement présentes dans le cours d’eau en seront bouleversées voire transformées. Ce ne sont pas seulement les poissons migrateurs qui sont touchés par ce problème car toutes les espèces effectuent des déplacements plus ou moins importants selon les espèces.
A l’inverse, en aval, le barrage aura pour effet d’accentuer la vitesse de l’eau et son pouvoir érosif. Les sédiments vont alors être mis en suspension, ce qui est néfaste pour la stabilité des berges mais aussi pour les branchies des poissons


Mortalité des poissons par leur passage dans les turbines
En termes simples et éloquents, les poissons passent dans les turbines et n’y survivent pas ou en ressortent démunis de nageoires, déchiquetés, blessés. La mortalité peut survenir directement ou ultérieurement, le poisson succombant à des blessures ou hémorragies internes causées par des contacts avec les pales de la turbine ou en raison des différences de pressions présentes au sein de ce type d’équipement.
La proportion de poissons qui vont passer dans la turbine est extrêmement difficile à déterminer et sera variable, au sein d’un même cours d’eau, en fonction du débit. Sans étude d’incidence concrète en fonction d’un projet de centrale hydroélectrique en particulier, il sera donc difficile d’évaluer quantitativement les populations de poissons qui passent par la turbine. Il conviendrait alors de considérer, sur base du principe de précaution, que l’ensemble des poissons dévalants passent par la turbine. C’est notamment le concept qui a été adopté sur la Basse-Sambre pour réaliser l’étude d’incidence sur la faune dans le cadre de l’installation de centrales hydroélectriques.
En outre, il est important de sensibiliser les concepteurs de projets hydroélectriques sur l’importance capitale du choix de leur turbine. En effet, il existe sur le marché des technologies ichtyo compatibles, c’est-à-dire plus adaptées et favorables à la survie du poisson. On appelle plus communément ce type de turbine « fishfriendly », qui se traduit littéralement de l’anglais par « ami des poissons ». Dans le cadre du développement durable de nos cours d’eau, il est légitime d’exiger que le respect de l’environnement et, plus particulièrement des populations de poissons, soit mis en balance avec le développement économique par le biais de la production énergétique. Malheureusement, dans la plupart des cas, le choix de la turbine relève souvent de préoccupations purement économiques visant une rentabilité maximale, sans tenir compte des coûts environnementaux concomitants.

Projet Meuse Saumon 2000
L’implantation de centrales hydroélectriques en Wallonie de façon générale a un impact négatif sur le projet « Meuse Saumon 2000 », tant à la montaison qu’à la dévalaison des salmonidés migrateurs (saumon atlantique, truite de mer…) hypothéquant ainsi les chances de survie des tacons réintroduits en Meuse dans le cadre du projet. Cela contraste aussi avec les engagements pris par la Belgique au travers d’une décision Benelux d’avril 1996 (reconduite en 2009), qui impose le rétablissement de la libre circulation des poissons migrateurs (saumon, truite, anguille) dans l’ensemble du bassin de la Meuse et affluents. C’est d’ailleurs pour remplir ce type d’obligation internationale que de nouvelles échelles à poissons ont été construites à grands frais par la Région Wallonne.

Plan national de gestion de l’anguille européenne
Comme chaque état membre, la Wallonie a dû établir, en collaboration avec les autres régions, un plan national de gestion de l’anguille de manière à répondre au Règlement CE n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes. Compte tenu des mortalités déjà observées actuellement, l’ajout de nouvelles pressions sur les populations d’anguilles européennes est totalement incompatible avec le règlement européen précité. Les mortalités supplémentaires dues à de nouvelles centrales viendront annihiler toutes les actions préconisées par le plan visant à restaurer l’effectif de ce poisson migrateur.


Le danger de la multiplication des micro-centrales hydroélectriques à titre privé
De plus en plus de projets de réhabilitation ou de transformation d’anciens moulins en micro-centrale hydroélectrique voient le jour en Wallonie, potentiellement exploitables par des personnes privées désireuses de produire l’énergie pour leur propre consommation (auto-alimentation d’un château, d’une piscine…). Si ces micro-installations fournissent peu d’énergie (moins de 10 Kw), elles n’en ont pas moins un impact sur le milieu aquatique. La crainte des pêcheurs saute d’emblée aux yeux : si dans le futur, l’on voit apparaître une multiplication de ce genre de projets, cela aura un effet dévastateur cumulé sur les mortalités de poissons. En outre, il est d’autant plus révoltant pour les pêcheurs de constater que des projets de centrale hydroélectrique développés à titre purement privé auront pour conséquence de mettre à mal les poissons d’une rivière, qui constitue un patrimoine public et collectif, le tout aux fins d’assouvir des besoins individuels. Dans une perspective plus large, outre les nombreuses incidences à l’échelle du cours d’eau ou du ruisseau en lui-même, il est important de considérer le bassin hydrographique dans son ensemble afin d’avoir une image fidèle de la nouvelle pression supplémentaire qui va s’appliquer sur les populations de poissons. Le cumul des taux de mortalité de poissons risque de donner des résultats désastreux sur la faune piscicole au niveau de l’entièreté du bassin.

En attente d’une politique globale régionale et européenne de protection des habitats aquatiques

En Wallonie
Afin d’éviter des conséquences désastreuses sur les espèces aquatiques et leurs habitats, le Service Public de Wallonie a récemment adopté une Circulaire relative aux projets hydroélectriques sur les cours d’eau non navigables de première catégorie. Si cette circulaire s’applique uniquement aux cours d’eau non navigables de première catégorie (c’est-à-dire ceux dont le gestionnaire est la Région wallonne), l’idée et la conclusion restent identiques : les centrales hydroélectriques présentent un danger évident pour l’environnement aquatique des cours d’eau.
Ce danger doit être pris en considération et être comblé par les moyens techniques mis à disposition à l’heure actuelle tels que la mise en place de passe à poissons ou l’utilisation de turbines « fish friendly ».

Dans une perspective européenne plus large : les impositions de la Directive Cadre sur l’eau
La Directive cadre sur l’eau (2000) impose aux Etats européens non seulement de prévenir la pollution chimique des cours d’eau, mais surtout d’atteindre le bon état écologique des eaux, notamment des eaux de surface. La présence de poissons en quantité et en qualité suffisante est un indicateur de la qualité des eaux imposé par cette Directive. L’objectif poursuivi depuis quelques années par la Fédération de pêche s’inscrit pleinement dans cette optique : assurer la protection, non seulement du poisson, mais également des milieux aquatiques, en contribuant ainsi à la qualité de l’eau et de l’environnement. Partant de ce postulat, l’installation (ou la remise en service) d’une centrale hydroélectrique et les risques précédemment exposés sur les poissons vont à l’encontre des exigences de la Directive en matière de qualité des masses d’eau.
La Décision du Comité de Ministres de l’Union économique Benelux relative à la libre circulation des poissons dans les réseaux hydrographiques Benelux (du 26 avril 1996 et modifié en 2009) suit le même raisonnement.

Vers un modèle de jurisprudence en Europe ?
Très récemment, la jurisprudence néerlandaise (Pays-Bas) a adopté une position favorable aux recommandations des pêcheurs, reconnaissant les effets dommageables des centrales hydroélectriques sur les populations des poissons.

La vigilance des associations halieutiques
La Maison wallonne de la pêche et la Fédération Sportive des Pêcheurs Francophones de Belgique suivent de près les projets de centrales hydroélectriques qui s’installent progressivement sur les cours d’eaux wallon et ne manquent pas d’y réagir afin de conscientiser des dangers. En pratique, informées et soutenues par les Fédérations de pêche territorialement concernées, nous analysons les demandes de permis introduites, déposons des observations écrites, introduisons des recours… Même si nos arguments n’ont jusqu’ici pas été entendus, les associations halieutiques coordinatrices restent vigilantes et au service des pêcheurs.


La conclusion est sans appel : les milieux aquatiques sont perturbés par l’installation de centrales hydroélectriques sur les cours d’eau wallons. Les conséquences, si elles sont certaines d’un point de vue scientifique, n’en sont pas moins difficiles à quantifier en termes de mortalité de poissons et à chiffrer financièrement.
Les pêcheurs wallons et leurs représentants doivent être mobilisés à la cause aux fins de préserver leur sport, leur loisir ainsi que le milieu aquatique dans lequel ils le pratiquent. En effet, la volonté des pêcheurs dans ce contexte est, non pas d’empêcher un développement durable d’énergie renouvelable, mais d’informer sur ses dégâts et d’encourager l’emploi de solutions techniques respectueuses des milieux aquatiques et salvatrices pour les poissons.

Voir aussi :

→ Fiche poisson - Le rotengle
→ Fiche poisson - La perche
→ Fiche poisson - Le sandre
→ Fiche poisson - La tanche
→ Frayères artificielles flottantes 2008